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L'odyssée d'Hérodote
19 février 2014

El espiritu de la colmena

Je traîne de temps à autres mon himation dans les cinémas du pourtour méditérranéen : autant dire que c'est l'un de mes endroits préférés. Ma dernière découverte est un film espagnol de 1973, réalisé par Victor Erice. L'histoire est celle d'une petite fille d'environ six ans, Ana, qui grandit dans l'Espagne franquiste des années 1940. L'histoire serait presque banale ... Sauf que, ce film est réalisé en 1973, deux ans avant la mort de Franco, qui s'affaiblit physiquement et politiquement. Le prince Juan Carlos est déjà désigné comme successeur "por la gracia de dios". L'ETA fait des siennes, l'un des hauts dignitaires du parti est assassiné, le pays s'ouvre au tourisme ... Bref, rien ne va plus.

 C'est la routine dans ce petit village de Castille : le père d'Ana vieillit, et élève des abeilles ; sa mère, face à cette attitude s'échappe en écrivant des lettres d'amour passionées à son amant. Le village est isolé au milieu des champs ; morne et triste, il ne s'y passe pas grand-chose : les vieilles veuves en deuil traversent le village au rythme du campanile, les enfants vont à l'école. Mais un soir, on passe Frankenstein de Whales dans la salle communale. Ana est fascinée. Sa soeur se moque d'elle et lui dit que le fameux homme se cache dans une bergerie, en bordure du village : elle s'empresse d'aller vérifier. Arrivée sur place, elle découvre un homme dans la bergerie, certes, mais celui-ci est affamé et affaibli, elle le soigne. C'est un républicain espagnol qui tente de se cacher du régime.

Le film est imensément riche, en plus d'avoir des images époustouflantes : ce sont les couleurs de l'Espagne. Ou plutôt les couleurs d'une Espagne amaigrie et étouffée par le franquisime et la chaleur. Si j'avais un don pictural, je peindrai les tragédies de Lorca avec ces teintes, qui sont peu ou prou celles de la Casa de Bernarda Alba et de Yerma. la bergerieLa chaleur a ici un sens très paradoxal, elle a quelque chose de mortuaire. Le centre du film est sans aucun doute le républicain caché dans la bergerie, puisqu'il réunit les enjeux politique et psychologique du film, qui se penche avec beaucoup de finesse sur le pouvoir de l'imagination infantile. Dans cet environnement immobile, fade et triste, même mortuaire, l'imagination des enfants, et surtout celle de la petite Ana est l'unique moyen de s'évader. C'est cette imagination qui la conduit jusque dans ce sanctuaire où se cache le républicain. Les deux soeurs apparaissent ainsi comme deux forces de vie, comme les seuls échapatoires mais aussi les seuls espoirs de cet univers étouffant. C'est pourquoi le personnage du républicain est intéressant. Caché, cassé, affamé, il est l'Espagne - républicaine, bien entendu- meurtrie, que la petite Ana vient soigner et nourrir. Ce film est un éloge de l'enfance, de ses capacités d'imagination et d'invention de l'avenir, une enfance qui croit encore, comme dans un rêve, que tout est possible. Un message qui, deux ans avant la mort de Franco, ayant passé la censure, ne tombe pas dans l'oreille d'un sourd. En définitive, c'est un grand film qui parle des petites gens. Il rappelle aussi bien entendu l'incroyable pouvoir du cinéma : lui qui réveille l'imaginaire, il est ici salué pour ses pouvoirs libérateurs : pour Erice, on pourrait presque dire que cinéma est synonyme de liberté.

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